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Liberté, liberté chérie quand on t’instrumentalise

Liberté, liberté chérie quand on t’instrumentalise.                                                     Le 03/10/2016

Comme vous, j’ai été abreuvé (et cela risque de continuer dans le contexte électoral) d’une kyrielle de commentaires sur le burkini. Pour sa défense, l’argument le plus souvent utilisé est : « C’est notre droit de s’habiller comme on le souhaite au pays de la liberté et des droits de l’homme.» A première vue, c’est irréfutable, d’ailleurs ce vêtement en soi ne me gêne pas. Sauf que cette fois, il ne s’agit pas d’un effet de mode.

J’ai connu en Europe dans les années 70 le short ultra court et moulant, puis les seins nus, plus récemment le string qui s’échappait du pantalon taille basse et maintenant c’est le jean troué aux genoux qu’il faut porter. Ces  modes, éphémères, légères, permettent aux jeunes de marquer leur personnalité mais ne véhiculent ni religiosité, ni hégémonie comme cela est le cas pour les vêtements religieux ostentatoires islamiques. Nous pourrions penser qu’il s’agit d’une obligation coranique cependant ce n’est pas le cas. D’ailleurs, dès les années 1950 de nombreuses familles de religion musulmane se sont installées en France et jusqu’en 1980 leurs femmes  n’ont pas jugé utile de porter le voile et encore moins le burkini, la burqa, le niqab ou le jilbab pour vivre leur foi. Elles étaient pudiques point.

Plus inacceptable encore, cette mode spécifique islamique n’est pas toujours portée librement. La pression de l’entourage anéantit la liberté pour les plus faibles. Pour être tranquilles, elles  finissent par se soumettre. J’ai vécu 4 exemples autour de moi. Aujourd’hui, nous sommes dans un autre registre, celui de la conquête, menée par les islamistes radicaux, qui divise notre société et détruit notre vivre ensemble. Je m’interroge sur le pourquoi du fait suivant : à la braderie des commerçants de Lille centre le 9 septembre 2016 dans la foule il n’y avait aucun voile alors que de retour dans la partie nord de Roubaix j’en croisais à chaque instant ! La vérité c’est que dans certains quartiers de jour en jour nous vivons de moins en moins ensemble, nous vivons entre soi, nous nous nourrissons, nous buvons, nous parlons, nous pensons, nous nous habillons, nous côtoyons différemment. Quand ces six critères se conjuguent la relation est compromise. Trop de  différence cimente le communautarisme séparatiste. Ce n’est pas ce que le peuple de France souhaite, ce n’est pas ce qu’il a construit après s’être révolté en 1789. J’ajouterai que dans les pays sous contrôle des fondamentalistes islamiques tels que l’Arabie Saoudite ou l’Iran par exemple, sans parler des extrêmes à savoir le califat Syrie/Irak et le Nigéria partie nord, étrangement on ne parle plus de liberté mais de contraintes encadrées par la police religieuse. Il convient donc d’anticiper et de  protéger notre sphère civile de toutes obligations théologiques prétendues. La France l’a fait vis-à-vis des religions juives et catholiques, elle doit le faire vis-à-vis de l’Islam.

Les musulmans (nes) réformistes de France (et de Roubaix la ville où je milite) doivent casser cette dynamique séparatiste. Établir un Islam de France devient un impératif. Ils doivent donner leur adhésion aux principes républicains : liberté d’expression et de critique, égalité hommes-femmes… Les fondamentalistes n’ont pas leur place dans notre civilisation européenne. Ils sont d’ailleurs aussi  combattus par les progressistes musulmans au Maghreb et au Proche-Orient, ce n’est pas le moment de les laisser prendre davantage racine en France et en Europe. Voici quelques exemples du travail d’intellectuels musulmans qui démontent le mécanisme du faux retour aux sources que défendent les fondamentalistes ainsi que les extrémistes de Daech et Boko Haram :

  • l’ouvrage contestataire d’Ali Abderraziq ; dès 1925 ce théologien musulman prône une séparation radicale du spirituel et du temporel. (1)
  • En juin 1993, le journaliste Farag Foda paye de sa vie l’audace d’avoir écrit que l’Islam était uniquement religieux et non politique. (2)
  • En 1996, le Pr. Nasser Abouzeyd de l’université du Caire publia « Critique du discours religieux » dans lequel il déclare la nécessité d’introduire dans l’exégèse coranique une dimension historique… (3)
  • l’article du 18/12/2015 dans le Monde du Cheikh Suprême de la confrérie turque des Fethullatchis : « …il est important pour nous musulmans, de procéder à un examen critique de notre pratique de l’Islam, à la lumière des conditions et des exigences de notre époque.» (4)
  • le 22/12/2015, les muftis du Liban, de Jordanie et d’Égypte signaient la « Déclaration de Beyrouth pour une information religieuse éclairée » recommandant de créer avec les instances chrétiennes un Observatoire du vivre ensemble. (5)
  • Le 27 janvier 2016, 300 responsables religieux musulmans et non-musulmans de 60 pays réunis au Maroc rédigèrent la « Déclaration de Marrakech » prescrivant la nécessité pour les intellectuels et la société civile de favoriser l’émergence d’un courant social faisant justice aux minorités religieuses dans les sociétés musulmanes. (6)
  • Sans oublier les interventions du Dr Boubakeur, la Coordination des musulmans turcs de France et de nombreux imams musulmans qui condamnent les attentats perpétrés en France et soutiennent l’idée de définir un islam compatible avec la République française.
  • … et bien d’autres interventions et prises de position, notamment des femmes musulmanes féministes, sans doute pas suffisamment relayées par la presse.

Tous ces mouvements intellectuels exigent de séparer le temporel du religieux.  Averroès philosophe, théologien, juriste et médecin musulman l’avait déjà initié au 12 ème siècle, 5 siècles avant celui des lumières qui lui emboite le pas. Puis les fondamentalistes chiites et sunnites  (d’obédience salafiste, wahhabite, djihadiste)   ont pris le dessus au Moyen Orient. Ils se sont installés dans l’obscurantisme jusqu’à engendrer des polices religieuses et pire la totale barbarie de Daech et Boko Haram qui ne sont plus du tout dans la spiritualité du retour aux sources mais dans la conquête d’un pouvoir dictatorial sanguinaire sous couvert d’une religion.

Gageons que l’Islam de France sera rapidement en capacité de s’approprier le travail des intellectuels progressifs musulmans qui défendent  les valeurs de bienveillance et de compréhension de l’autre suivant les messages du Coran dans les sourates :

  • (X 99) « Si Dieu voulait, tous les hommes de la terre croiraient. Veux-tu contraindre les hommes à devenir croyants ?
  • (VI 31) « Quand même tu étendrais la main sur moi pour me tuer je n’étendrais pas la mienne pour t’ôter la vie, car je crains Dieu ».
  • (XVIII 73) « … L’inconnu le tua. Eh quoi ! tu viens de tuer un homme innocent qui n’a tué personne ! Tu as commis là un acte détestable ».

Liberté, liberté chérie merci de me permettre de porter ce message de réflexion mais aussi de montrer le chemin vers l’apaisement pour qui sait l’entendre. Notre diversité unie autour du même drapeau, voilà la richesse de nos différences.

Philippe Delannoy.

Nota : l’auteur souhaite que l’éventuelle diffusion de cet article se fasse sans coupure. Par contre, il reçoit volontiers les critiques, les contradictions, il est ouvert au débat.

Source (1-2-3-4-5-6) : les publications « Œuvre d’Orient ».